Je continue à tirer des fils autour de l'idée d'empathie en lien avec la bienveillance, sujet auquel j'ai consacré ce blog
).
L'Attention Réciproque
Je promeus depuis 2017 la pratique de l'Attention Réciproque pour se comprendre mutuellement (Dossier sur laqvt.fr
Attention Réciproque). Pour comprendre autrui, cela nécessite d'interagir avec l'autre pour le faire s'exprimer sur ce qu'il vit réellement (et pas par le petit bout de la lorgnette que l'on a utilisé), sur ses perceptions et sentiments, et puis sur ses besoins, ses aspirations, ses attentes, ses demandes.
On retrouve les composantes "situations" et "émotions" évoquées précédemment auxquelles s'ajoute une composante qui va être utile pour une dynamique d'altruisme : quelles sont les besoins, aspirations et attentes de l'autre pour lesquels on pourra peut-être contribuer à une réponse.
La partie "Réciproque" de l'Attention Réciproque vise à réduire l'asymétrie de l'attention dans les relations où une des deux parties concentre l'attention de l'autre, éventuellement par essence. Par exemple, il est normal que des parents soient attentionnés envers leurs enfants, notamment jusqu'à leur majorité, alors que notre société cultive assez peu l'idée que les enfants puissent porter attention aussi à leurs parents durant la même période. On retrouve le même enjeu entre soignant et patient : pourquoi le patient ne pourrait-il pas aussi porter attention au soignant ? Il s'agit donc selon moi, non pas d'arriver à des relations strictement égalitaires en matière d'attention, mais d'instiller une (bonne) dose d'attention par la partie habituellement au centre de l'attention dans la relation : je te porte attention et je prends soin de toi, et je t'invite aussi à me porter attention et à prendre soin de moi, chacun à sa mesure et chacun dans sa responsabilité.
En situation de tension, cela permet de mettre en musique une invitation de Spinoza "Ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre".
Besoins, aspirations et attentes
Je viens d'évoquer rapidement dans la section précédente sur l'Attention Réciproque les besoins, aspirations et attentes de la personne sur qui porter son attention (et ce de préférence en essayant d'instiller de la réciprocité).
La pratique de l'empathie dans une dynamique de bienveillance vise à rechercher quels sont les besoins de l'autre. Besoins qui peuvent être conscients - explicites (exprimés) ou implicites (non exprimés) - ou inconscients. La connaissance de l'autre et l'échange que l'on peut avoir avec lui permet de prendre en compte ses besoins et d'aider à les faire exprimer, voire émerger à partir de l'inconscient.
En cas de tension, elle permet aussi de prendre conscience de ses propres besoins. C'est un des enjeux de la
Communication Non Violente (CNV) dont une des étapes consiste à faire le lien entre les émotions et les besoins.
La façon de demander me semble capitale pour cultiver des relations bienveillantes. En effet, à partir du moment où une personne a une demande à formuler à l'autre, il faut qu'elle sache l'exprimer dans l'affirmation de soi bienveillante (
assertivité). Il faut éviter les demandes sous forme de sous-entendus, et notamment celle que j'appelle les perches gluantes voire culpabilisantes. Je donne deux exemples :
- "Ma sœur a bien de la chance que ses enfants l'invite le dimanche" plutôt que "Ca me ferait plaisir de vous voir un prochain dimanche en fonction de vos disponibilités"
- "J'ai lu dans un magazine que dans 80% des couples, l'homme contribue aux tâches ménagères" plutôt que de discuter franchement d'un déséquilibre dans la répartition des tâches.
Un enjeu central de compréhension : l'écart entre la réalité et les attentes
Que ce soit la compréhension de soi-même ou de celle d'autrui, il y a un enjeu central pour la santé psychologique : le réalisme des attentes.
Gilles Dupuis et Jean-Pierre Martel, chercheurs québécois en psychologie ont élaboré la définition suivante que j'ai l'habitude de qualifier de lumineuse depuis que je l'ai découverte en 2010 :
"La qualité de vie au travail, à un temps donné, correspond au niveau atteint par l’individu dans la poursuite dynamique de ses buts hiérarchisés à l’intérieur des domaines de son travail où la réduction de l’écart séparant l’individu de ses objectifs se traduit par un impact positif sur la qualité de vie générale de l’individu, sur la performance organisationnelle et, par conséquent, sur le fonctionnement global de la société."
Cette définition, que l'on peut généraliser aux autres sphères de vie au-delà de la sphère professionnelle, met en évidence l'enjeu que représente l'écart entre la réalité et les objectifs/attentes de l'individu : plus cet écart est grand plus l'impact est négatif sur la qualité de vie. En ressort que l'inconfort dans une situation donnée peut résulter de la difficulté de la situation et/ou des attentes/objectifs de l'individu. C'est donc un enjeu de pouvoir comprendre cela quand on porte attention à autrui, et évidemment idem pour bien se comprendre soi-même.
Deux autres éléments de cette définition sont importants :
- la pondération des attentes/objectifs, avec un enjeu qui n'est pas mince : la non focalisation sur un sujet de tension qui ne représenterait en réalité qu'une toute partie du paysage alors que le reste du paysage est au beau fixe (notion de relativité) ;
- la compréhension de la dynamique dans le temps : amélioration, stagnation ou dégradation. Avec un point de vigilance : la stagnation n'est pas forcément neutre, surtout si la situation n'est pas bonne. Une situation objective qui stagne peut conduire à une dégradation subjective.
Une telle analyse permet de sortir d'une vision en noir et blanc et de considérer toute l'ambivalence, toutes les nuances dans la rencontre entre un individu donné et une situation donnée.
Et je fais ici un rapprochement avec un extrait de
ma vision de la bienveillance : "
Un cheminement ...
Singulier aussi à chaque instant, faisant de la rencontre entre un individu ou un collectif donné et une situation donnée, une opportunité de construire et cultiver une relation pérenne qui pourrait être bonne pour lui et pour les parties prenantes à recenser."
Ce qui m'amène à considérer l'empathie bienveillante dans une approche holistique qui considère l'écologie de la situation, l'individu sur qui porte l'attention et une ligne de temps (passé, présent et avenir souhaité), et ce que les interactions mues par l'empathie vont impacter sur la relation, sur chacun des deux et au-delà par des potentiels bénéfices et/ou dommages collatéraux.
Et quand certaines personnes voient dans la bienveillance de la complaisance et de la facilité, on peut voir à travers cette formulation que bien au contraire la bienveillance est une attitude particulièrement exigeante et responsable.
Empathie - Comprendre à travers 4 dimensions de bienveillance
Essayer de comprendre l'autre peut être guidé par ma modélisation de la bienveillance en 4 dimensions indissociables et réplicables :
On peut donc chercher à comprendre (dans une formulation "je cherche à te comprendre") :
- si tu es à l'écoute de tes aspirations, si tu ne t'oublies pas ;
- tes relations interpersonnelles, et notamment dans ma relation avec toi en cas de tension entre toi et moi ;
- tes relations avec les écosystèmes dans lesquels tu vis (travail, foyer, couple, amis, voisinage, ...) ;
- si tu portes attention et si tu prends soin de ta santé physique (en lien indissociable avec la santé mentale).
Empathie - Reconnaître, Connaître, Comprendre et Valider
Quand une relation est installée entre soi et un autre, nous pouvons faire appel à notre capacité à reconnaître les pensées, émotions, comportements, aspirations, attentes de l'autre.
Pour une nouvelle relation, l'empathie nécessite d'apprendre à connaître l'autre. Pour cela, un double enjeu majeur se donner du temps et de l'énergie pour cela, et être dans de bonnes dispositions. Mais pour en revenir à la relation installée, reconnaître ne suffit pas car il y a toujours des choses à apprendre chez l'autre et il ne faut pas l'enfermer dans une vision qu'on s'en fait. Il y a donc aussi une dynamique d'apprendre à connaître, non seulement donc parce qu'on ne connaît jamais totalement l'autre, mais aussi que comme tout individu, il évolue dans un monde qui évolue.
Notamment en situation de tension, il est important de chercher à comprendre, sans juger, sans forcément avoir un rôle à jouer. Et pour s'assurer qu'on ne fait pas fausse route, il s'agit d'échanger avec l'autre pour valider que notre compréhension est la bonne et que nous ne projetons pas nos propres affects et modes de pensées.
Empathie - Complexité, Incertitude et Enjeu
Comprendre l'autre n'est pas aisé quand il explique être dans une situation à problème, ou que la situation nous paraît à problème sans que l'autre se soit exprimé sur cette situation.
Le MOOC sur la complexité "L'avenir de la décision : connaître et agir en complexité" dirigé par Edgar Morin contient une mine de ressources sur le sujet, et notamment un module présenté par Laurent Alfandari intitulé "Complexité et incertitudes dans la prise de décisions, trois petits problèmes de décisions".
Il y développe l'idée que la difficulté dans la prise de décision repose sur 3 dimensions :
- la complexité de la situation, à ne pas confondre avec la notion de "difficulté". Une situation est complexe quand elle s'analyse à travers de multiples dimensions qui peuvent interagir les unes sur les autres ;
- l'incertitude quant aux conséquences de la prise de décision ;
- l'enjeu ou les enjeux que représentent la prise de décision et les impacts possibles.
Essayer de comprendre l'autre qui objectivement ou subjectivement se trouve dans la difficulté à prendre une décision, c'est considérer ces 3 dimensions. Sachant qu'il faut distinguer le caractère complexe de manière objective et subjective : la situation peut être complexe objectivement, mais pas forcément subjectivement si la personne réduit la situation à un ou deux paramètres (par simplification rationnelle, par déni, par raisonnement émotionnel, ...).
Quand l'empathie conduit à aider l'autre à prendre sa décision à sa demande, un des enjeux est notamment de vérifier que l'autre n'est pas en train de surjouer l'enjeu. Je m'aperçois que cela arrive souvent dans la vie courante. Inversement, il faut prendre garde de ne pas imposer sa propre dévalorisation de l'enjeu simplement parce que pour soi-même l'enjeu n'existerait pas dans la même situation.
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