vendredi 5 août 2022

Equation des responsabilités de bienveillance

Une amie très proche s'est donnée la mort récemment. J'ai ressenti l'envie et le besoin de partager des enjeux de bienveillance inspirés de sa vie, de sa mort tragique et également d'autres personnes que j'ai pu côtoyer ces dernières années. Des personnes qui ont montré, voire exprimé, des signes d'épuisement du fait d'un surengagement dans leur vie professionnelle, associative ou familiale. 

L'engagement à un projet, à un collectif, une communauté, ou à s'occuper ou à prendre soin d'autrui relève d'un premier terme d'une équation de la responsabilité de bienveillance : la bienveillance envers autrui ou envers un écosystème d'appartenance, à considérer à la première personne du singulier : 

  • je suis bienveillant envers toi (relation interpersonnelle en tant qu'humain, dans le cadre de mon travail, en tant que bénévole,... ) ;
  • je suis bienveillant envers ma cellule familiale, l'entreprise à laquelle je contribue, l'association dans laquelle je suis bénévole, ma communauté religieuse, ma commune, mon pays, la planète, ... En ce sens, je veille et je participe à la bonne santé de chaque écosystème et à leur vitalité. 

Quel que soit le bénéficiaire de cette bienveillance, la valeur que j'accorde à ce bénéficiaire est prépondérante. Dans une logique de cohérence et d'alignement, plus il me sera/semblera précieux, et plus je lui porterai de l'attention et plus je dépenserai de l'énergie à prendre soin de lui, en prenant conscience de l’interdépendance des choses, faisant de la bienveillance un ensemble de sujets et d'objets d’attention indissociables.

Cet engagement peut bénéficier de moteurs extrêmement puissants prenant la forme d'injonctions extérieures et d'introjections : "Sois fort(e) !", "Fais des efforts !", "Tu dois réussir !", "Fais plaisir !", "Donne une bonne image !", "Prends soin de ...!",... Il y a d'autres moteurs aussi puissants, tels que le diktat du faire, de l'avoir, de l'urgence, de la vitesse, de la réduction des coûts, de la mode, de l'excellence, …. Des moteurs qui peuvent surchauffer, s'emballer, tomber en panne, rendre l'âme. 

Un grand nombre de produits motorisés utilisés par l'industrie ou par les particuliers prévoient des cycles de fonctionnement, des programmes d'entretien, des détecteurs de surchauffe qui peuvent couper le moteur si besoin. 

Autant de mécanismes que, bizarrement, on ne retrouve pas souvent pour les humains. On pourrait même dire que la vie des machines fait l'objet de plus d'attention, de réflexion, de prévention que celle de la vie des humains, notamment dans le monde du travail. 

Quand le surengagement se fait jour, notamment quand la personne concernée émet des plaintes, des demandes, apparaît le 2ème terme de l'équation de la responsabilité de bienveillance : la bienveillance envers soi-même

Un tel niveau de responsabilité qui sonne souvent comme une forme de rappel à l'ordre à la personne en question : "Prends soin de toi !", qui peut s'ajouter à la liste des injonctions citées précédemment, quelque fois vécue comme injonction paradoxale. Une invitation qui peut surajouter une couche culpabilisante à la situation difficile vécue et qui peut s'accompagner d'autres phrases comme "Tu en fais trop !", "Tu es trop perfectionniste !", "On ne te l'a pas demandé !", “Laisse tomber, ce n’est pas ta responsabilité !”, ... teintées de maladresse, de mauvaise foi, de cynisme ou de manipulation, voire en multicolore. 

Ce type d'invitation, sans autre forme de geste de bienveillance, et notamment pour aider à trouver des solutions alternatives, représente en réalité un minimum syndical de bienveillance envers personne en danger qui peut se révéler contre-productif voire malveillant quand il relève de la perversion. 

En réalité, cette 2ème responsabilité mérite d'être appréhendée à la première personne du singulier, en tout temps, et pas seulement en zone de turbulence : je veux prendre soin de moi et je prends soin de moi.

Pour avoir un bon équilibre de responsabilité de la bienveillance, il faut nécessairement un 3ème terme à l'équation, réciproque du 1ier terme : la bienveillance d'autrui et de mes écosystèmes d'appartenance envers moi-même. Ce qui signifie :

  • 1/ qu'ils acceptent que je prenne soin de moi ;
  • 2/ et qu'ils prennent soin de moi.

Si cela fait appel à la responsabilité de bienveillance extérieure à moi, elle engage aussi la mienne et mes capacités d'assertivité. Notamment pour affirmer mon aspiration et ma détermination à prendre soin de moi, pour inviter à la réciprocité de bienveillance et pour rappeler à l'ordre face à des actes malveillants envers moi ou à une insuffisance de bienveillance à mon égard : étant donné que je suis bienveillant en conscience envers autrui ou un écosystème, j'attends en retour de la bienveillance de manière équitable (pas forcément en réciprocité stricte), dans une logique gagnant-gagnant

Nous aboutissons ainsi à l'équation suivante :

Équilibre des responsabilités de bienveillance =

Ma bienveillance envers autrui et mes écosystèmes d'appartenance

+ Ma bienveillance envers moi-même 

+ La bienveillance d'autrui et de mes écosystèmes d'appartenance envers moi-même. 


Ma conviction est que bon nombre de burnouts et de suicides par désespoir trouvent en partie leur source dans une défaillance de cet équilibre de bienveillance, avec une insuffisance voire une absence des deux derniers termes de l'équation et un premier terme qui prend une place exagérée et dangereuse, mais tellement profitable pour les personnes et écosystèmes qui bénéficient des actes de la personne surengagée. 

C'est un vrai enjeu de société, notamment dans le secteur de la santé, de l'éducation, dans le milieu associatif, pour les parents isolés, pour les femmes vivant dans des cellules familiales relevant du patriarcat, pour les aidants familiaux, chez les autoentrepreneurs, les entrepreneurs, commerçants, agriculteurs, dans les syndicats, chez les élus,... toutes les personnes qui se donnent corps et âme avec une insuffisance ou une absence 

  • de garde-fou pour leur qualité de vie,
  • et de considération par autrui de ce qu'elles font, de ce qu'elles sont, de leur état de santé, de leur qualité de vie, de leur besoin de reconnaissance et de justice. 

Une telle équation peut aider à tirer de justes et nécessaires enseignements d'évènements dramatiques consécutifs du sur engagement, et à bâtir des écosystèmes bienveillants prévenant et régulant le surengagement. 

Je publie en parallèle sur lesverbesdubonheur.fr le billet Un "prends soin de toi" qui passe mal en lien avec le présent article.


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