Réciprocité de la Bienveillance

 


Il suffit de regarder l'actualité jour après jour pour constater des déficits de réciprocité : la destruction de la planète alors qu'elle nous nourrit, les violences ou l'indifférence envers celles et ceux qui nous aiment - notamment envers les femmes et les enfants -, ... où se croisent des (présumés) coupables d'actes malveillants, des complices, des témoins qui ne pipent mot, tournent leur regard, font les morts, des personnes indifférentes, des individus et collectifs qui n'ont pas le temps de porter leur attention ou qui sont focalisés sur leurs propres besoins et intérêts, ...

Voyons en quoi ma modélisation de la bienveillance en 4 dimensions indissociables et réplicables tisse un maillage de responsabilités de bienveillance qui fait mieux jouer la réciprocité.

4 dimensions de bienveillance indissociables et réplicables

Je rappelle brièvement les 4 dimensions indissociables et réplicables de la bienveillance que l'on peut considérer tout à la fois pour un individu, un collectif ou une communauté :


Pour plus de précisions sur cette modélisation que j'ai évoquée de nombreuses fois dans mes chroniques, je vous invite à prendre connaissance de la page dédiée à la modélisation en 4 dimensions.

Une interconnexion qui induit la réciprocité

Comme le montre le schéma suivant, si l'on relie les responsabilités de bienveillance en 4 dimensions d'une personne avec les responsabilités du collectif de travail auquel il appartient et les responsabilités de chacun de ses collègues, apparaissent naturellement des logiques de réciprocité. 




En effet, si je contribue à mon collectif et à la prise en compte de la bienveillance (relation 4, couleur bleue), et si je suis bienveillant avec chacun·e de mes collègues (relation 3, couleur bleue), par effet de réciprocité, je peux/dois attendre que :
  • mon collectif de travail prenne soin de moi (relation 5 en marron clair) du fait de sa responsabilité de bienveillance envers ses membres (Vous en Moi)
  • mes collègues (chacun individuellement) prennent soin de moi (relation 6 en marron clair) du fait de leur responsabilité de bienveillance envers autrui (Toi et Moi)
Je décline le même type de réciprocité pour la cellule familiale : 




Si je contribue activement à ma cellule familiale et à la prise en compte de la bienveillance (relation 4, couleur bleue), et si je suis bienveillant avec chacun de ses membres (relation 3, couleur bleue), par effet de réciprocité, je peux attendre que :
  • ma cellule familiale prenne soin de moi (relation 5 en marron clair) du fait de sa responsabilité de bienveillance envers ses membres (Vous en Moi)
  • les membre de la cellule familiale (chacun individuellement) prennent soin de moi (relation 6 en marron clair) du fait de leur responsabilité de bienveillance envers autrui (Toi et Moi), d'autant plus que je leur suis cher - chère.

Quelle réciprocité ?

Pour caractériser la réciprocité dont je parle pour une Société et des Territoires de la Bienveillance, je vais commencer par dire quelques mots sur ce dont il ne s'agit pas : une logique donnant-donnant ou comptable. Il ne s'agit pas non plus de considérer la réciprocité comme un sentiment d'obligation qui nous fait grogner et irrite notre sens de la liberté ("J'ai horreur des obligations !").

Il s'agit plutôt de gérer de grands équilibres, chacun utilisant les capacités qui lui sont propres pour porter attention et soin par divers moyens. C'est un élan authentique et responsable qui nous pousse à être bienveillant à ce qui nous entoure, à ce qui nous est cher, et aussi à ce qui est différent, parce que c'est notre responsabilité et aussi parce qu'on ressent de la gratitude pour toute la bienveillance que l'on reçoit.

La logique donnant-donnant/comptable pousse invariablement à la comparaison et à nous dessaisir de notre responsabilité de réciprocité de la bienveillance dès lors qu'il semblerait (dimension subjective forte) qu'on serait "victime" de malveillance ou d'insuffisance de bienveillance. Elle nous pousse aussi à voir la bienveillance qui nous serait donnée comme artificielle, calculatrice, intéressée pour nous forcer à une réciprocité qui serait perdante ou déséquilibrée en notre défaveur.

Un enjeu central : réduire asymétries et dichotomies dans les relations

Dans ma chronique N°21 Gare à la comparaison biaisée !, j'ai évoqué les dangers de la comparaison biaisée. Comparaison biaisée que l'on trouve particulièrement dans les relations influencées fortement par l'asymétrie ou par la dichotomie.

Comment se caractérisent-elles :
  • dans les relations asymétriques se joue souvent l'autorité d'une partie par rapport à l'autre ; exemples : entre parent et enfant, maître et élève, sachant et apprenant, médecin et patient, aidant et aidé, élus et citoyens, ...
  • dans les relations dichotomiques, des groupes sans relation hiérarchique ou d'autorité s'opposent ... souvent inutilement ; d'autant plus quand chacun a son utilité et qu'ils sont complémentaires. Exemple : privé et public, automobilistes et piétons, citadins et ruraux, technique et commercial, parents et enseignants, différentes communautés (religion, pays, région, race, supporters de clubs sportifs, ...)
Dans les relations asymétriques, une des deux parties est le sujet d'attention de l'autre par essence : l'enfant par le parent, l'élève par l'enseignant, le patient par le soignant, ... Ce qui ne veut pas dire pour autant que l'attention soit toujours présente ; notamment quand l'acte technique prend le pas sur la relation (par exemple, un médecin qui ausculterait un patient sans vraiment s'intéresser à lui ou un enseignant qui délivrerait un enseignement sans considérer les élèves). Dans notre société, on a du mal à comprendre la réciprocité dans les relations asymétriques : un enfant (non adulte) qui prendrait soin de ses parents, un patient qui veillerait sur son médecin, un subordonné qui veillerait sur son supérieur hiérarchique, un citoyen qui s'inquiéterait du surengagement d'un élu, ... (au masculin et au féminin).

Dans les relations dichotomiques, la réciprocité ne se joue pas car la comparaison biaisée a tendance à délégitimer les besoins de l'autre partie. Par exemple : "Pourquoi faudrait-il que nous, techniciens, prenions soin des commerciaux alors qu'ils sont largement mieux payés que nous et valorisés par la direction alors que nous sommes les 5èmes roues du carrosse ?" ou alors "Et puis quoi encore ! Une augmentation pour les fonctionnaires ? Avec tous les avantages qu'ils ont : sécurité de l'emploi, 30 heures par semaine, les vacances scolaires, ... C'est indécent par rapport à nous qui nous tuons au travail dans le privé !"

Réduire les asymétries et les dichotomies, tel était un des enjeux de l'Attention Réciproque que j'ai modélisée en 2017 pour le site internet laqvt.fr, site d'actualité (en sommeil) sur la Qualité de Vie au Travail (QVT).

Je vous propose de considérer la double relation suivante entre réciprocité de la bienveillance et réduction de l'asymétrie et de la dichotomie dans les relations :
  • en réduisant les asymétries et dichotomies, on peut faire vivre plus facilement la réciprocité de la bienveillance
  • en cultivant la réciprocité de la bienveillance, on peut réduire l'asymétrie et la dichotomie, rendant les relations plus équilibrées, plus saines et plus aptes à créer de la coopération gagnant-gagnant.

La réciprocité dans les relations asymétriques

Pour les relations qui sont asymétriques par essence (par exemple parent-enfant, employeur-salarié, soignant-patient, enseignant-élève, élu-administré) et pour lesquelles une des deux parties porte une responsabilité légale et/ou une autorité envers l'autre, la réciprocité de la bienveillance peut éclairer la relation d'un nouveau jour : la personne qui bénéficie par essence de la bienveillance de l'autre enfile elle-aussi la bienveillance pour porter attention, voire soin, en retour.

Pour la relation parent-enfant, le parent peut apprendre à l'enfant à porter attention et soin à ses parents dès le plus jeune âge, selon ses capacités et sans lui faire surjouer la responsabilité de bienveillance. La plupart des parents savent que le métier de parent est difficile, alors pourquoi ne pas se faire aider par les enfants pour que ce métier ne pèse pas trop. Je suis convaincu de l'effet gagnant-gagnant d'un bon jeu de réciprocité. A l'inverse, une relation parent-enfant centrée sur le plaisir de l'enfant a un fort risque de basculer dans le perdant-perdant (cf mon article Attention, plaisir - Le dessous des cartes : tu vas halluciner !)

Pour la relation chef·fe-subordonné·e, l'organisation peut se saisir collectivement de l'enjeu de la Qualité de Vie au Travail (QVT) en considérant que chacun·e est concerné, quels que soient sa fonction, son statut, ... C'est un sacré changement de culture qu'encadrement et salariés sans responsabilité d'encadrement acceptent les uns et les autres que les personnes de l'encadrement soient aussi le sujet de bienveillance par l'ensemble du collectif et par chaque personne du collectif  ; y compris pour l'encadrant d'accepter que ses subordonnées portent attention et soin à lui. En effet, pour prendre une métaphore maritime : qui songerait naturellement qu'un matelot puisse demander au capitaine s'il ne se sent pas trop stressé par la tempête ?
Evidemment, pour qu'une telle culture soit entendable et puisse se développer, il faut que la bienveillance du collectif et des encadrants envers les équipiers soit déjà suffisamment au rendez-vous, ou au minimum qu'elle soit sérieusement en intention.

Interrogeons des rôles

Il y a des relations asymétriques et/ou dichotomiques qui nécessitent d'être interrogées, discutées, remises en cause, et en particulier celles qui sont ancrées depuis des générations, notamment du fait du patriarcat.
J'en donne quelques exemples :
  • la femme dans un couple qui devrait prendre soin des enfants, du conjoint, du ménage ;
  • les filles, voire particulièrement, la fille ainée qui devrait prendre soin des parents une fois qu'ils sont âgés ;
  • les médecins de famille dont certains patients se plaignent qu'ils ne soient plus aussi mobilisables jours et nuits qu'avant ;
  • les maires dans les petites communes que l'on pourrait déranger à toute heure du jour et de la nuit ;
  • un certain nombre de métiers pour lesquels on ne trouve pas anormal que le travail occupe 365 jours par an (notamment dans l'agriculture)
Et si on commençait par ce qui nous est le plus proche ? Par exemple, la façon de fonctionner dans notre foyer : la répartition des responsabilités et des tâches, la façon dont sont prises les décisions, l'appréciation de la contribution de chacun, ... Quiconque dans le foyer peut être à l'initiative d'un cheminement vers un fonctionnement et des relations plus équilibrées et bienveillantes.

Tendons vers la bienveillance aussi en tendant la perche de la réciprocité

Vous avez entendu parler de l'assertivité ? J'utilise pour ma part aussi le terme "affirmation de soi bienveillante". Certaines personnes l'assimilent au fait de savoir dire "Non".
L'assertivité appelle à conjuguer respecter à autrui et à soi-même. Ce qui met en évidence la bienveillance à soi-même et la bienveillance à autrui (deux des dimensions de mon modèle à 4 dimensions).

L'assertivité consiste non seulement à dire "Non", mais aussi à tendre la perche de la réciprocité de la bienveillance : je suis bienveillant avec toi, je suis bienveillant avec moi, certes ... et aussi je t'appelle à l'être aussi avec moi. Une dynamique que l'on a tendance à oublier, notamment dans les cas de surengagement. 
C'est souvent le cas dans le surengagement dans les activités associatives. J'ai maintes et maintes fois observé des situations où des personnes sont surengagées dans une association jusqu'à émettre des signaux plus ou moins forts montrant que la situation ne leur convient plus. Et le plus souvent, la seule réaction qu'elles obtiennent est un renvoi à leur responsabilité de bienveillance par rapport à elle-même : "Tu en fais trop. Fais en moins ! Prends soin de toi !". 
Pour autant, j'ai rarement entendu une réaction du type "En quoi peut-on aider à trouver une solution ?".
Pire que cela : je ne me souviens pas avoir entendu une seule fois une personne surengagée demander explicitement à ce que l'on prenne soin d'elle, individuellement et collectivement. 
En cela, elle tendrait une perche de la réciprocité : "Je suis bienveillant envers l'association, ses membres, ses bénéficiaires. J'attends que l'association, ses membres et ses bénéficiaires prennent aussi soin de moi, et en particulier actuellement où la situation est difficile pour moi".

Je mets ici en évidence 3 dynamiques de responsabilités de bienveillance, dont une qui fait appel à la réciprocité :
  • je suis bienveillant avec toi (ou envers un écosystème),
  • je suis bienveillant avec moi,
  • je t'appelle (j'appelle l'écosystème) à être bienveillant avec moi-même (un juste retour des choses, non ?)
Cette troisième dynamique devrait être indissociable des deux premières en matière de bienveillance et d'assertivité.

6 dynamiques indissociables de Bienveillance dans une relation

Raisonnons autour de l'idée de relation. La bienveillance dans une relation entre A et B se jouant à 3 niveaux pour A : 
  • A est bienveillant envers B
  • A est bienveillant envers lui-même
  • A prend soin de la relation qui relie A et B
Ces 3 niveaux de responsabilités mettent en évidence 6 dynamiques indissociable de bienveillance dans une relation si l'on ajoute en effet miroir les responsabilités de B :





Les flèches et textes en marron indiquent les responsabilités de réciprocité de B envers A.

Comme indiqué dans la partie sur l'assertivité, en réalité toute personne devrait aussi se saisir si nécessaire d'une insuffisance de bienveillance ou de présence de malveillance.




Concernant la relation particulière parent-enfant, même si elle est asymétrique par essence, on peut s'appuyer sur le schéma général des 6 dynamiques de bienveillance pour une relation, pour interpeler et cultiver la bienveillance dans ce type de relation, et notamment la bienveillance de l'enfant envers ses parents.




Cheminement de l'obligation vers la responsabilité

La réciprocité de la bienveillance vue sous le prisme de l'obligation, de la seule morale est/serait une mauvaise voie selon moi. J'ai évoqué dans la partie précédente "Quelle réciprocité ?" en quoi elle pouvait être urticante.

Par contre, une réciprocité de la bienveillance abordée sous l'angle de la responsabilité permet d'y mettre un élan, de l'enthousiasme, de l'envie et, quand cela est possible : du plaisir. Une responsabilité qui fleure bon la joie de vivre et ... la gratitude.

Vivons pleinement la gratitude

La réciprocité de la bienveillance peut être vue comme un remerciement, l'expression d'une gratitude pour la bienveillance qui nous est donnée. Or la gratitude a la particularité d'être une émotion positive qui fait donc déjà du bien à soi-même. Je vous renvoie à mon article rapportant ma modélisation d'un processus de la  gratitude.
Donc aborder la réciprocité de la bienveillance par la gratitude a l'énorme avantage de nous l'amener via une émotion positive qui fort naturellement nous donne un élan bien loin du sentiment d'obligation. Plus nous prenons conscience de la bienveillance qui nous est donnée, plus nous nous sentons heureux reconnaissant et plus nous avons envie de rendre la pareille (ou presque puisqu'il ne s'agit pas de réciprocité comptable).

La culture de l'appréciation et de la gratitude constitue un levier central, pertinent et efficace pour jouer pleinement et joyeusement la réciprocité de la bienveillance.

Aïe ... quand la réciprocité n'est pas là !

Mais est-ce si grave, si préjudiciable pour les humains et pour notre société que la réciprocité de bienveillance ne soit pas à la hauteur qu'elle devrait/pourrait l'être ?

Ma conviction est que l'insuffisance de réciprocité de bienveillance crée un spectre large de conséquences négatives, en partant de petits déséquilibres dans les relations jusqu'à des relations destructrices, notamment dans les couples, dans les familles, dans les organisations et dans ce qui nous relie avec la planète.
La matrice suivante en 4 lignes et 4 colonnes montre que 12 combinaisons sur 16 posent plus ou moins problème, et une seule relève du gagnant-gagnant, à savoir une relation où chacune des parties prend à la fois soin d'elle-même et de l'autre partie.





La réciprocité de la bienveillance est selon moi un enjeu central qui nécessite d'être cultivé individuellement et collectivement, notamment à travers l'apprentissage de l'assertivité (affirmation de soi bienveillante). Une réciprocité qui s'appréhende d'autant plus facilement qu'elle se comprend à travers l'interconnexion des 4 dimensions de la bienveillance entre personnes, et entre personne et collectif et communauté d'appartenance.

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